L’ARTICLE DU MOIS
Numéro 28 – Octobre 2024
Auteurs : Pr T. PASSERON et Coline Jaulent-Darmaisin, Marc Reverte, Antoine Petit, Antoine Bertolotti.
Préambule : L’article du mois de la Société Française de Dermatologie a pour vocation d’apporter de la lumière sur un article choisi et commenté par un expert du domaine. Nous y ajoutons nos commentaires de profanes.
Voici l’article du mois d’Octobre 2024, proposé par le groupe de veille bibliographique de la SFD.
Résumé :
Introduction : Les troubles liés à l’hyperpigmentation sont très fréquents, affectent la qualité de vie et peuvent devenir un fardeau psychologique pour les patients concernés. De nombreux agents antipigmentaires ou dépigmentants sont disponibles avec des efficacités variables et presque aucune donnée comparative. Le 2-mercaptonicotinoyl glycine (2-MNG) a récemment été proposé comme nouvelle molécule sûre et efficace pour le contrôle de l’hyperpigmentation in vitro et in vivo.
Objectifs : Une méta-analyse Bayesienne en réseau a été réalisée pour cartographier et établir une classification des agents anti-pigmentaires et dépigmentant en comparant l’activité du 2-MNG 0,5 % sur la lumière du jour UV (UV daylight) avec 13 autres molécules de référence. Une comparaison de la cinétique du 2-MNG 0,5 % a également été effectuée.
Méthodologie : Quatorze études ont été menées sur 15 à 30 femmes de phototype III à Shanghai (Chine) et à Paris (France). Les produits ont été appliqués sur une petite zone, selon un protocole randomisé et en aveugle, sur le dos, 5 jours par semaine pendant 6 semaines, à une dose de 4mg/cm2. Au cours de la deuxième semaine, les volontaires ont été exposés à une dose érythémale minimale variable d’UV daylight pendant 4 jours consécutifs – adaptée pour obtenir une induction similaire de la pigmentation de la peau quelle que soit la population. Les évaluations ont été réalisées de manière instrumentale à l’aide du Chromamètre. L’acide ascorbique 7% a été utilisé comme contrôle positif pour toutes les expériences. Une méta-analyse bayésienne en réseau a ensuite été établie pour suivre la cinétique des performances du 2-MNG 0,5% avec 13 molécules de référence (glutathion 2%, acide kojique 1%, hydroquinone 4%, ascorbyl glucoside 2%, niacinamide 4%, etc.)
Résultats : le 2-MNG 0,5 % a mené le classement à tous temps évalués avec une forte probabilité d’une forte efficacité contre la pigmentation induite par UV daylight. L’acide ascorbique 7 % arrive en deuxième position après 4 jours d’irradiation (J12), tandis que l’hydroquinone 4 % arrive en deuxième position 1 mois après l’irradiation (J40). Concernant la cinétique, le 2-MNG à 0,5 % a été efficace dès la fin des irradiations (J12) jusqu’à la fin de l’étude (J40). Ceci suggère une efficacité immédiate et persistante à travers tous les temps évalués.
Conclusion : La méta-analyse a révélé une efficacité rapide et durable du 2-MNG 0,5 % sur les phases anti-pigmentantes et dépigmentantes du protocole clinique. LE 2-MNG 0,5% s’est classé premier, avec un effet immédiat et durable par rapport à 13 autres références. Cette étude est la première permettant de comparer les agents anti-pigmentaires et dépigmentants de référence et aidera les cliniciens à proposer l’approche la plus efficace à leurs patients.
Avis d’expert :
Cet article est intéressant car il y a beaucoup de dépigmentants cosmétiques et chacun dit qu’il est très efficace mais il n’y a pas ou peu d’étude comparative. Il s’agit ici d’une étude en réseau qui a comparé les différents agents dépigmentants sur leur capacité à prévenir la pigmentation induite par les UV. On voit que le nouveau dépigmentant cosmétique, le 2-MNG, fait mieux que l’HQ mais surtout cela permet de voir l’efficacité relative de beaucoup de composés cosmétiques telle que la niacinamine, la vit C ou bien encore l’acide tranexamique en topique (on voit ici que cela ne marche pas bien du tout car il faut que cela pénètre pour que cela soit efficace et ce n’est pas le cas des dépigmentants du moins actuels… L’autre point intéressant est qu’on a pour la première fois un composé cosmétique qui fait mieux que l’HQ.
Les limites sont qu’il n’y a pas eu de comparaison avec le Thiamidol qui est un autre composé cosmétique très efficace et surtout que c’est dans la pigmentation UV induite. C’est normal car il fallait une procédure standardisée mais cela nécessite d’avoir aussi des données spécifiques dans les dermatoses d’intérêt telles que le LA, l’HPPI et le mélasma.
Pr Thierry PASSERON (Expert et Co-Auteur)
Si je devais être favorable à cet article :
La recherche d’agents dépigmentants efficaces et bien tolérés est une priorité pour la prise en charge dermatologique des patients à peau foncée, chez qui les hyperpigmentations localisées telles que mélasma ou hyperpigmentation post-inflammatoire (HPI) sont une source majeure d’altération de la qualité de vie. La 2 mercaptonicotinoyl-glycine (2-MNG) est un dépigmentant au mode d’action original : elle lie les précurseurs de mélanine (dopaquinones, DHI-quinones et DHICA-quinones) en les empêchant de polymériser en mélanines. De ce fait elle protège aussi le mélanocyte contre la toxicité liée à l’accumulation de certains de ces précurseurs, toxicité qui apparaît notamment avec les molécules inhibitrices de tyrosinase telles que l’hydroquinone. Son mécanisme d’action explique aussi que la 2-MNG puisse inhiber la pigmentation photo-induite immédiate, transitoire ou persistante, qui survient quelques minutes après l’exposition aux UV par un mécanisme de photo-oxydation des DHI-quinones et DHICA-quinones préformées.
Ici, les auteurs ont comparé entre elles a posteriori différentes études menées selon le même protocole chez des volontaires sains de phototype 3 en France et en Chine pour tester le pouvoir inhibiteur de molécules variées sur la pigmentation photo-induite. Les produits étaient appliqués 5 jours par semaine pendant 40 jours et l’irradiation avec un simulateur solaire avait lieu de J8 à J11 (doses adaptées pour ne pas produire d’érythème). La prévention de la pigmentation photo-induite était mesurée à J12 et J40. Schématiquement, la 2-MNG s’est montrée supérieure aux autres molécules aussi bien à J12, suivie de l’acide ascorbique, qu’à J40, suivie de l’hydroquinone à 4%.
Cette étude originale confirme donc l’intérêt potentiel de la 2-MNG non seulement comme cosmétique anti-pigmentant (« anti-bronzage »), mais aussi comme véritable médicament dépigmentant. On attend impatiemment les premiers essais thérapeutiques dans le mélasma et la HPI chez des sujets de teintes de peau et d’ascendance variées.
Dr Antoine PETIT (non-expert)
Si je devais être contre cet article :
Il est important de noter que le nombre d’applications par jour recommandé diffère des posologies couramment utilisées en pratique clinique. De plus, aucune donnée n’est disponible concernant le coût du traitement, ni de comparaisons sous cet angle avec d’autres thérapeutiques. Étant donné que ce traitement relève de la cosmétologie, cette information pourrait être cruciale pour nos patients, car il n’est pas pris en charge par la sécurité sociale.
Par ailleurs, il n’existe pas de données sur l’efficacité du traitement pour des phototypes autres que III, ni pour les femmes de plus de 50 ans, ce qui exclut une part significative de la population. De même, aucune donnée sur la tolérance du produit n’est disponible.
L’absence de données « en vie réelle » est également préoccupante, car les hyperpigmentations sont souvent localisées sur le visage et liées à l’exposition solaire, entraînant des phénomènes d’oxydation. Il est donc essentiel de savoir si le produit pourrait être irritatif sur une peau plus fine, interférer avec d’autres topiques, ou provoquer des effets indésirables en raison d’une photo-exposition accrue de cette zone du corps.
Il est également regrettable qu’il n’y ait pas de comparaison avec le trio de Kligman ou le nouveau trio de Kligman (Thimidol), qui sont considérés comme des standards de référence. Il serait pertinent d’explorer l’efficacité de la 2-MNG pour des troubles de l’hyperpigmentation tels que l’hyperpigmentation post-inflammatoire (PIH), le lentigo ou le mélasma, ce qui correspond à notre pratique clinique. Cela ajouterait une dimension médicale précieuse à cette étude.
Enfin, il est légitime de s’interroger sur un possible biais d’intérêts, étant donné que cette étude est financée par L’Oréal et que la plupart des investigateurs ont des liens d’intérêts avec cette entreprise.
Pr Antoine BERTOLOTTI (non-expert)
Si je devais avoir une opinion mitigée de cet article :
Je dirais que, ne connaissant pas l’« analyse bayésienne », j’ai été d’emblée réticent. L’analyse bayésienne est donc une méthode statistique par laquelle on calcule les probabilités de diverses causes hypothétiques à partir de l’observation d’événements connus. C’est la définition…Pour revenir à l’article, on reste un peu sur notre faim car il s’agit de comparer des produits qui sont déjà moins efficaces qu’un autre produit connu. Donc, oui, la 2-MNG semble efficace « comparativement » aux autres molécules testées mais, finalement, n’est-ce pas la meilleure des « un peu moins efficaces » ? Cependant, on peut louer la volonté de comparer les molécules dépigmentantes disponibles et ainsi d’avoir des arguments pour pouvoir éliminer des molécules inefficaces de nos prescriptions ou de nos conseils.
Dr Marc REVERTE (non-expert)
Conflit d’intérêt : Les auteurs ne déclarent pas de conflit d’intérêt
Références :
A Bayesian network meta-analysis of 14 molecules inhibiting UV daylight-induced pigmentation.
Muller B, Flament F, Jouni H, Sextius P, Tachon R, Wang Y, Wang H, Qiu H, Qiu J, Amar D, Delaunay C, Jablonski NG, Passeron T.J Eur Acad Dermatol Venereol. 2024 Aug;38(8):1566-1574. doi: 10.1111/jdv.19910. Epub 2024 Mar 3.PMID: 38433524