L’ARTICLE DU MOIS
Numéro 15 – Décembre 2023
Auteurs : Gentiane Monsel (GrIDIST), Antoine Fauconneau, Antoine Petit, Antoine Bertolotti.
Préambule : L’article du mois de la Société Française de Dermatologie a pour vocation d’apporter de la lumière sur un article qui a intéressé des experts de la discipline et qui a été commenté par divers volontaires, experts ou non, du domaine. Voici celui du mois de Décembre 2023.
Transmission sexuelle du dermatophyte Trichophyton mentagrophytes génotype VII entre des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes : une nouvelle IST ?
Des cas groupés de dermatophytose génitale survenant après des rapports sexuels ont déjà fait suggérer la potentielle transmission sexuelle de dermatophytes, en particulier du Trichophyton mentagrophytes génotype VII (TMVII). Jabet et al [1] rapportaient 13 cas d’infections à TMVII chez des hommes dont 12 ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), diagnostiqués dans 3 hôpitaux parisiens entre 03/21 et 09/22. Cinq patients avaient une lésion unique, les autres des lésions multiples, dont des granulomes de Majocchi inguinaux chez 1 patient, des kérions de la barbe chez 2 patients et des lésions typiques inguino-génitales ou des fesses chez les autres. Au moins 9 des patients avaient eu des partenaires sexuels multiples dans le mois précédant l’apparition des lésions, dont 4 lors de voyages. Cinq patients étaient infectés par le VIH, 7 prenaient la PrEP et 12 avaient des antécédents d’autres IST. Des co-infections étaient retrouvées chez 5 patients (1 Chlamydia trachomatis anal, 1 syphilis et 3 Mpox). Des lésions similaires étaient présentes chez les partenaires sexuels de 6 patients, dont 2 chez qui TMVII a été confirmé. Un traitement oral était prescrit chez 9 patients (terbinafine, voriconazole ou itraconazole) pour 3 à 16 semaines et un traitement topique chez les autres. Les 10 patients avec des données évolutives disponibles ont guéri sous traitement. Une transmission sexuelle de TMVII était suspectée pour la majorité des patients devant les sites de l’infection et le profil des patients à haut risque d’IST, suggérant une circulation active de ce dermatophyte dans la communauté HSH en Europe.
Commentaire n°1 :
Les cas que nous avons rapportés dans cette publication nous semblent correspondre à un phénomène épidémique de transmission de T. mentagrophytes de génotype ITS VII au cours de relations sexuelles. Il est préoccupant pour différentes raisons. Tout d’abord, nous notons une circulation active de cette souche dans la communauté HSH en région Ile de France, puisque d’autres cas se sont déclarés depuis cette première publication. Cette circulation pourrait, de plus, être très sous-évaluée puisque le diagnostic nécessite que les patients soient prélevés et que les isolats soient caractérisés par séquençage, ce qui ne peut être réalisé que dans quelques laboratoires. Enfin, sur le plan clinique, les lésions sont souvent multiples et/ou étendues et/ou sévères, donc assez contagieuses pour les partenaires et engendrent des difficultés thérapeutiques (traitement systémique prolongé le plus souvent nécessaire).
Dr Gentiane Monsel (experte et dernière autrice de l’article)
Si je devais être en faveur de cet article, je dirais
Cette série de cas semble confirmer que la transmission inter-humaine sexuelle d’un génotype particulier de Trichophyton mentagrophytes (génotype VII) est probable.
Les formes décrites étaient sévères nécessitant dans certains cas une hospitalisation ou un traitement systémique. Les personnes atteintes étaient en grande majorité des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). Si l’identification de ce génotype particulier ne sera pas un examen de routine, on peut retenir d’évoquer le diagnostic de dermatophytie devant des lésions génitales ou faciales parfois atypiques dans ces populations à risques, de traiter fort (traitement systémique), et de le considérer comme une IST et ainsi de dépister d’autres infections (fréquentes co-infections) et les partenaires.
Dr Antoine FAUCONNEAU (non expert)
Si je devais être en défaveur de cet article, je dirais
Les maladies infectieuses se réinventent constamment, offrant aux médecins de les redécouvrir sans cesse…
Il y a quelques décennies, les dermatophytoses nodulaires profondes, parois hyper-inflammatoires et abcédées, qu’on observait occasionnellement sur la peau dite glabre, étaient un piège diagnostique classique : le « granulome de Majocchi ». Elles nécessitaient un traitement systémique, alors représenté par la griséofulvine. On attribuait ces formes inhabituelles à des conditions locales ou générales favorisantes. Quand le contexte épidémiologique le suggérait ou qu’un prélèvement avait permis l’identification d’un dermatophyte réputé zoophile tel que T. mentagrophytes, on soulignait que cette espèce était peu adaptée à l’hôte humain, ce qui pouvait favoriser une réaction inflammatoire particulièrement intense.
Depuis lors, le séquençage de la région ITS a redéfini et affiné la taxinomie des dermatophytes. On a découvert des variétés de T. mentagrophytes différant par leur hôte préférentiel, leur mode de transmission, leur région d’origine, leur sensibilité aux antifongiques… T. mentagrophytes de génotype ITS VIII, responsable de dermatophytoses récalcitrantes à transmission interhumaine originellement observées en Inde, a ainsi été rebaptisé Trichophyton indotinea. Par ailleurs, les relations sexuelles avec de très nombreux partenaires différents ont créé, chez certains homosexuels masculins (HSH), des conditions propices au développement épidémique d’agents infectieux transmis par contact de peau à peau. C’est ainsi que T. mentagrophytes ITS VII, probablement importé depuis l’Asie du Sud-Est (Thaïlande), est devenu responsable d’épidémies de dermatophytoses sévères récalcitrantes chez des sujets HSH en Europe.
La connaissance de cette particularité épidémiologique aidera sans doute les cliniciens qui n’ont pas l’expérience du « granulome de Majocchi » à évoquer le bon diagnostic et, l’ayant posé, à dépister d’éventuelles infections sexuelles transmissibles (IST). Faut-il pour autant faire de cette dermatophytose « une nouvelle IST » ? Les dermatophytoses anthropophiles, tout comme la gale, le Monkeypox ou le molluscum contagiosum, se transmettent essentiellement par des contacts directs de peau à peau, ce qui pourrait justifier l’appellation d’ITC (Infection à Transmission Cutanée). La sexualité y est facultative et accessoire, car il existe beaucoup d’autres occasions de contacts cutanés étroits chez l’enfant et même chez l’adulte. Ce n’est pas le cas des contacts entre muqueuses ou semi-muqueuses (génitale, anale, buccale), qui sont l’apanage des relations sexuelles responsables de la transmission des véritables IST.
Dr Antoine Petit (non expert)
Si je devais être neutre sur cet article,
Le premier élèment semblant important à garder à l’esprit est que la population concernée ici n’est qu’une minorité face à la population générale. En effet, la majorité était des HSH dont les 2/3 étaient porteurs du VIH et 1/3 suivi pour PrEP. Etant donné que ces infections sont survenues chez des sujets rapportant des rapports sexuels à risque, qu’elles sont localisées à proximité des organes génitaux et que l’on retrouve des lésions également chez des partenaires, il semble difficile de ne pas parler d’infection transmise au cours d’un rapport sexuel. Cependant, d’un point sémantique, est ce réellement une infection sexuellement transmissible (transmission par voie orale, anale et génitale avec ou sans pénétration) ? Elle se rapprocherait davantage des considérations faites sur le monkey pox, la gale ou encore les phtyriases. Parler d’IST sous-entend que l’on réalisera un dépistage des autres IST ainsi qu’un dépistage du (des) partenaire(s). Cet article semble aller dans ce sens et inciter à éveiller la curiosité des cliniciens devant des lésions circinées, kérion et granulome de Majocchi localisés dans des régions génitales et péri-orale.
La recherche de génotype VII du T.mentagrophytes n’est pas possible dans tous les laboratoires, mais devant la description réalisée dans cet article elle pourrait avoir un intérêt à la demande du clinicien pour explorer plus légitimement la sphère de la santé sexuelle du patient. Par ailleurs, la recherche de ce génotype semblerait aussi avoir un intérêt quant à l’efficacité des traitements. En effet, contrairement à T.indotinae, aucune (ou peu de ?) résistance à la terbinafine n’a été rapportée chez TMVII. Elle permettrait, sans doute, d’avoir une conduite à tenir thérapeutique plus simple face à ce type de patient (contrairement aux difficultés de prise en charge observées lors de la relecture rétrospective de quelques un de ces dossiers).
Tenant compte que ce génotype n’est pas identifié chez l’animal (ou peu ?) et devant les délais pour obtenir une réponse mycologique de culture, d’antifongigramme et de génotypage, une telle présentation clinique doit donc éveiller la suspicion d’un T mentagrophytes de type VII. Le clinicien devrait donc prendre en compte la santé sexuelle de son patient, de son (ses) partenaire(s) et introduire un traitement par antifongique sans attendre les résultats des prélèvements.
Pr Antoine BERTOLOTTI
Remerciement : Les auteurs remercies le Dr Agathe Nouchi pour avoir identifié cet article au cours de la veille du GrIDIST
Références :
Jabet A, Dellière S, Seang S, Chermak A, Schneider L, Chiarabini T, et al. Sexually Transmitted Trichophyton mentagrophytes Genotype VII Infection among Men Who Have Sex with Men. Emerg Infect Dis 2023;29:1411–4. https://doi.org/10.3201/eid2907.230025.